Comme c’est un carnet… Parfois je repasse sur le texte et je le complète… Voici une nouvelle version développée de la première.
We are Family est le spectacle fondateur de la Morsure… La mère du vinaigre comme dirait Marie… Ce spectacle a donné naissance à toutes les déclinaisons de “l’univers” We are Family : 3 solos (L’expo de Milo, L, P), Le banquet, 1 disque, les tutos de Milo, l’Oracle de Milo…. Est-ce par esprit de revanche ou pour compenser le deuil forcé de ce spectacle qui n’a pu être joué qu’une fois et vu uniquement par 160 personnes ? En tout cas il nous a marqué et nous ne parvenons pas à nous en défaire… D’ailleurs nous allons bientôt organiser “l’anniversaire de Milo”…
C’est réellement avec WAF que je me suis heurté aux limites du cadre dramaturgique. Créer une pièce de A à Z sur une structure de 3 actes composés de 3 scènes. Trouver une cohérence de personnages et de styles… Il ne s’agissait pas « d’écriture de plateau » mais d’écriture improvisée au plateau :
- préparer les scènes
- les travailler au plateau en improvisation
- Les fixer
- Les analyser pour en tirer l’essentiel du moteur de jeu.
- Isoler le moteur de jeu
- Rejouer la scène en faisant en sorte qu’elle garde son contenu narratif mais qu’elle reste vivante et improvisée.
Je savais très bien ce que je voulais mais je découvrais ce travail et je ne savais pas comment y parvenir. Je voulais une écriture contemporaine, exigeante sur la langue, absurde, noire, bête. Une œuvre désespérément drôle et étrange. J’avais envie de quelque chose dans l’esprit de “L’opérette imaginaire” de Novarina. Quelque chose d’explosé et chaotique. Je m’était aussi beaucoup inspiré de la pièce de de Philippe Dorin “Bouge plus !” sur la structure du texte entre les personnages. Cette pièce m’était tombée dans les mains comme une évidence. Le problème principal était que je devais fabriquer des outils pour un objet que je ne connaissais pas encore. Cette période de recherche a été très motivantes et les comédiens avec qui je travaillais (Marie Parent, Laurent Mazé et Lionel Chouin) ont pleinement participé à cette découverte.
Je travaillais à partir d’improvisations et je cherchais à modeler un système de jeu qui me permettrait d’empiler les sens. De pouvoir raconter l’histoire avec plusieurs niveaux de lecture simultanés. Travailler sur l’histoire de cette famille, trouver une forme qui raconte ce que chacun des personnages est, dans la façon d’écrire son texte en direct, de se mouvoir. Chacun des ces aspects se complétant, et dialoguant entre eux. L’empilement des sens s’oppose à l’écrasement des sens : jouer une situation de manière logique et réaliste, faire ce qui est attendu. Paraphraser, être illustratif. En dissociant les éléments du jeu, on parvient à créer une tension dramatique à tous les endroits.
Je savais aussi que je ne voulais pas figer les scènes… Alors il fallait trouver comment garder l’improvisation tout en répétant pour obtenir tout ça. J’étais sûr que c’était possible. Mais la limite de cette méthode de travail a été atteinte à la générale. Les scènes étaient devenues précises mais rigides et mortes. Les comédien.es avaient perdu l’espace de l’improvisation, leur part de création en direct. Nous avions tué la pièce à force de la répéter. C’est à ce moment que nous avons arrêté de répéter le spectacle de manière classique, c’est-à-dire, rejouer les scènes. Se renouveler alors qu’on veut quelque chose de très précis est forcément paradoxal, surtout quand on est satisfait du résultat mais qu’on doit quand même inscrire le spectacle dans le corps et la mémoire. C’est à ce moment que j’ai imaginé la Meta. Une autre forme que le spectacle 2. Au lieu de rejouer les scènes; les comédien.nes disaient ce qui leur passait par la tête quand ils jouaient. Ce qu’ils auraient fait. Ils jouaient et décrivaient ce qu’ils diraient… Ce processus a complètement nourri le langage Meta que nous développons avec Marie Parent depuis cette époque. Dire ce que l’on pense alors que l’on joue autre chose. Entendre ce que les acteur.ices pensent. Un privilège et une aide précieuse pour la suite.
On ne disait pas qu’on allait faire une italienne, ou une allemande car c’était impossible… On faisait une Meta.
Ce procédé Meta nous a permis de Continuer de travailler et de préserver la fraicheur des improvisations.
« Ecrire ou ne pas écrire ». Que fixer ? Qu’est-ce qui doit rester mobile ? Pour que cela fonctionne, il faut bien construire sa structure, identifier ce qui doit rester vivant. Quelle est la marge de liberté ? En fait, plus la structure est précise, plus le comédien aura l’impression d’être libre, même sur une structure très serrée. Car la précision donne l’orientation du jeu. Il faut bien connaitre ses acteurs, faire confiance à leur capacités techniques et d’auteur.ices. Comment écrire pour des auteur.ices ? C’est aussi à ce moment que apparue la notion de Meta-auteur (bien que je ne me souvienne plus si nous employions ce terme à cette époque). Le Meta-auteur est un terme propre à notre travail. Être l’auteur principal de la pièce, de la dramaturgie, de la mise en scène… L’improvisateur.ice étant l’auteur.ice de sa propre partition à l’intérieur d’un ensemble prédéfini.
J’aime écrire des systèmes, des règles du jeu. Chaque personnage était à la fois maltraité et maltraitant. Il avait sa propre dramaturgie, sa propre façon d’écrire son texte, ses propres objectifs. Ils interagissaient un peu comme dans le jeu Poule-Renard-Vipère. Le Renard mange la poule. La vipère mange le renard, et la poule mange la vipère. Chacun animait l’autre. Retrouver ce qui existe dans les pièces de théâtre mais isoler chaque partie pour qu’elle reste mobile. Isoler les personnages, la dramaturgie et les imbriquer pour que ça les mettent en mouvement. Comme je l’ai dit, j’avais le texte de Dorin en tète. Ce bruit vide des mots. Mais je n’avais pas la forme. Je n’avais pas non plus défini les personnages ni leur façon de parler. Je me suis nourri de l’auteur, de la personnalité des interprètes. C’est en les regardant, en les écoutant, en les laissant justement assez libres dans ce cadre que j’ai pu fixer de nouvelles règles pour chacun.es. C’est aussi à ce moment que nous avons trouvé le concept du “monstre”, je pense que c’est Marie qui a identifié et nommé ce principe. Trouver son monstre. Un personnage qui est une version monstrueuse de nous. D’un de nos travers poussé à l’extrême. Ce “monstre” sert de base à l’écriture fictionnelle.
Laurent Mazé jouait “le père”. Naturellement, c’est quelqu’un d’assez bavard, que je trouve très intelligent et qui a une culture historique et politique énorme. Il arrivait souvent avec des journaux et adorait parler de l’actualité. Alors son monstre a donné le père. le bruit inutile des mots. Il parle tout le temps. Son esprit est rempli par le bruit extérieur du monde. Par les infos en particulier. Il fabrique une pensée composite qui doit s’exprimer tout le temps. Son but est de dire, mais pas être entendu. Son texte doit sortir. Ce bruit raconte sa solitude. Le père ne veut rien entendre. Il refuse d’être ramené au réel. D’être confronté à son deuil. Prenant énormément de place, il était je pense le noyau, l’ancrage de la pièce. Une des scènes le montrait délirer à partir d’un article de journal (du jour). Laurent lisait d’abord l’article et puis sans transition rentrait dans un délire ou il racontait ce qu’il aurait fait lui. Philippe est un personnage complexe. Chômeur remplissant sa vie de mots.
Marie Parent jouait la mère. Marie apporte toujours le sens… et le tragique. Elle densifie le propos. Elle ramène toujours sa valise de profondeur et de sensibilité, d’émotion. Dans We are Family, La mère c’est l’absence. Elle est morte, elle est un fantôme. Elle n’apparait que lorsqu’on parle d’elle. Elle est la seule à s’adresser au fils. Elle est le lien. La ponctuation. Son texte est court, rare et obsessionnel. Répétitif comme un souvenir cauchemardesque. Elle pose essentiellement des questions. Elle interrompt son mari. Lui pose des questions qui n’ont rien à voir avec ce qu’il dit pour le ramener, pour le sortir de sa folie des mots. C’est la façon que nous avions trouvé pour jouer avec Laurent et le ramener, l’interrompre. Son personnage essaye de le raccrocher au réel. Sa première réplique c’était : « Milo, tu veux une tartine ? » Un peu comme chez David Lynch, elle est l’énigme du spectacle. D’ailleurs le spectacle est monté comme un parcourt à énigme, qui donne des réponses cachées. Cette première réplique est répétée au moins 10 fois. La mère ne joue pas sur le même plan que les autres acteurs qui prennent leur petit déjeuner. Cette réplique indique qu’elle est là pour son fils. Que c’est lui qui la convoque. Mais raconte aussi par la répétition que personne ne peut l’entendre.
Milo le fils est un personnage poétique. Il est l’art, l’abstraction, l’enfance, l’innocence. Lionel Chouin est un acteur impossible à diriger. C’est un artiste sauvage, plasticien, dont la matière artistique déborde. Sans le diriger, j’ai trouvé comment lui proposer des bords. Alors nous avons trouvé ensemble Milo. L’enfant. Le fou. Le prophète. Milo c’est un peu l’enfant du 6ème sens qui voit les morts. Il a un rapport ésotérique et symbolique au monde. J’ai toujours aimé le jeu de Lionel. Bizart et incarné. Milo ne s’exprime que par images. C’est un adolescent torturé joué par un adulte. Chacune portant une part de moi cachée. Son père ne lui répond jamais. Il est pris dans la folie de son père et voudrait pourtant lui ressembler. Alors il accumule des journaux qui finissent par recouvrir toute la scène. Il essaie de les garder sur lui comme pour capturer le langage… Il vit des moments avec sa mère. Ces moments oniriques ne sont jamais justifiés comme tels. Ils s’inscrivent dans la réalité des personnages.
C’était un spectacle non linéaire, non narratif, très conceptuel, un peu ésotérique, composé de flash-backs et de cauchemars imbriqués… Une pièce sur le Chaos. La violence de la famille. Au départ, je pensais que Milo c’était moi, c’était ce que je voulais raconter. La solitude de l’enfance, le rêve comme échappatoire. Mais au fur et à mesure du travail, chaque personnage était un fragment d’un ensemble qui quelque part me ressemblait, qui donc devait permettre au public de s’identifier. C’est un spectacle où rien finalement n’était laissé au hasard mais qui portait le paradoxe d’avoir besoin de l’improvisation pour être vivant. C’est la marque de fabrique des créations que nous menons avec Marie à la Morsure. Cette obsession pour la vérité. Le moment présent.
Je voulais absolument que tout ait un sens. Que chaque réplique soit utile. Que la structure, le choix des chansons soient des éléments très clairs qui amplifient le sens et donnent des réponses au spectateur. Tous les titres des morceaux (interprétés par Fred Joiselle et Nicolas Courret) étaient des indices sur la scène, un éclairage. La chanson”Don’t you forget about me” des Simple Minds”, pour moi, annonçait clairement l’enjeu du spectacle pour tous les personnages : Ne pas oublier, ou ne pas être oublié. Ou encore la reprise de “Play Dead” de Björk chantée par Marie et Fred à la fin du spectacle :”Je joue la morte”… Ca me plaisait beaucoup de semer des indices ici et là.
Je me disais qu’on pourrait ne pas aimer le spectacle, mais qu’on ne pourrait pas me dire que c’était n’importe quoi. Par contre… est-ce que le public a compris ? En soi, je me dis que ce n’est pas grave, qu’on n’a pas forcément besoin de comprendre. C’était une pièce sur le chaos, le langage, la violence des mots et de la famille. C’est une pièce où je réglais certains comptes tout en cherchant une forme d’émancipation dans ma vie et dans mon travail. D’ailleurs, mon travail annonce souvent les changements que je vais vivre. Il est comme un terrain d’entrainement, un espace de questionnement sur ma propre vie. L’endroit de la création reste un endroit où mon inconscient a le droit de prendre le dessus. Ma conscience est le carde et la structure… Pour moi, Le résultat reste moins important que le développement. C’est aussi pour ça que j’aime qu’il reste improvisé. Pour qu’il continue de vivre et me surprendre, qu’il m’échappe.