CAR POUR MORDRE ON NE DEMANDE PAS LA PERMISSION
Je dessine des petits dessins que je range dans une boîte.
Je n’ai pas de démarche artistique, sauf à considérer que m’a volonté d’adapter ma pratique du dessin à mes besoins sociaux et « mentaux » en est une.
Je n’ai pas le sentiment que mes motivations soit différentes de celles des autres. Comme beaucoup de gens, je recherche une forme de reconnaissance sociale et culturelle à travers ma pratique du dessin. Je cherche ma place dans la meute. Paradoxalement, dans un même temps je fuis la meute, les meutes. Le statut qu’on trouve au sein de la meute, les règles qui la régisse, la temporalité à laquelle elle nous soumet sont autant de conditions qui m’empêchent d’avoir ne serait-ce que l’illusion d’un contrôle sur ce court espace-temps qu’est la vie. Je pourrais le résumer ainsi :
Sans la meute, je meurs, à coup sûr, et dans la meute, je survie.
La seule solution acceptable que j’ai trouvé à ce dilemme, est de faire des aller-retours entre la meute et « moi », entre la réalité et ma réalité, entre tout ce qui est autour de moi et et en moi, entre l’univers en dehors de ma boîte et celui à l’intérieur de ma boîte.
Je dessine souvent seul, en écoutant de la musique. Souvent la même musique, en boucle, pendant plusieurs jours. Je suis dans ma boîte. Durant cet espace-temps pendant lequel je dessine, je ne suis soumis à aucune autres règles que celles auxquelles j’accepte de me soumettre. Je suis le plus libre possible.
Je ne cherche pas nécessairement la rupture avec les règles qui régissent la réalité. Je ne méprise pas l’histoire de l’art, l’académisme, les modes, les tendances, les styles, les démarches artistiques, les concepts, etc, je tiens seulement à préserver ma liberté. Je ne suis pas insoumis, mais libre de me soumettre ou non.
Il résulte de cet espace-temps passé à dessiner, un dessin. Ce dessin s’ancre dans la réalité, je peux le voir, le toucher, le montrer, mais il n’est finalement qu’une trace, une empreinte de l’espace-temps passé. Ce qui est important à mes yeux, c’est bien plus ce que j’ai vécu en dessinant, que le dessin en lui-même. Si je tiens à mes dessins, c’est qu’ils représentent pour moi une sorte de souvenir. Un dessin juste fini me rappelle que je vis, plus tard, il me rappellera que j’ai vécu.
Le choix du format A7 (7x10cm) n’est pas totalement anodin. En dessinant sur un format réduit, j’augmente ma capacité de production. Ce faisant, j’augmente le nombre et la diversité des moments vécus et passé à dessiner. La boîte à remplir de dessins, devient alors une unité de mesure du temps. Je peux estimer le temps nécessaire à la remplir, et par conséquent le temps qu’il me reste à vivre dans mon espace-temps. Commencer un nouvelle boîte signifie que je m’autorise à vivre encore un peu plus longtemps dans mon espace-temps de liberté. La boîte permet aussi de classer chronologiquement mes dessins. Ma boîte a à peu près la même fonction qu’un album de photos de famille. Elle est le réceptacle d’une somme de souvenirs qui mis bout à bout raconte une histoire de vie.
La boîte permet aussi de protéger mes dessins de la lumière. Mes dessins sont fragiles, l’encre utilisée s’effacerait rapidement s’ils étaient exposés sans protection. La boîte protège une partie de ma vie de l’oubli, pour un temps au moins.
Mes dessins sont fragiles, parce que l’encre que j’utilise n’est pas vraiment permanente, mais me permet plus de liberté graphique au regard de mes capacités techniques. Je privilégie donc encore une fois ma liberté à dessiner dans l’instant présent que le dessin en lui même. Le dessin finira par disparaître tôt ou tard. Dessiner, vivre, c’est maintenant ou jamais.
L’important étant de vivre librement l’instant dessiné, je dessine ce que je veux, peux, doit. Il n’y a pas de règle. Je dessine coûte que coûte, l’important étant de vivre un peu plus dans mon espace-temps. Les idées de dessin me viennent suite à une observation, une pensée, un état d’esprit. Je commence par entammer un croquis au crayon. Le croquis évolue, si bien qu’à la fin, l’idée du début peu très bien être remplacée par une autre.
La phase du croquis est une histoire à elle seule. La mise en couleur finit de figer cette histoire pour « l’encré » dans la réalité. Je suis souvent étonné de découvrir le dessin une fois fini. Il n’y avait rien sur ma feuille 1h plus tôt et d’un coup, apparaît quelque chose qui n’existait pas avant, quelque chose d’unique. Je peux alors ranger mon dessin et passer à un autre. Je garde presque tous mes dessins, bon ou mauvais selon moi. J’en ai peut être jeté une dizaine. J’en ai gardé des plus raté que ceux que j’ai jeté. Ce n’est pas simplement une question d’esthétique qui me pousse à garder ou jeter un dessin. Je déteste profondément certain de mes dessins, je pourrais difficilement les montrer sans avoir honte. Certains, sont tellement naïfs, maladroits, peu inspirés, médiocres en somme, pourtant parfois j’ai aimé le chemin parcouru pour les dessiner, alors je les garde. Je ressens parfois le besoin de garder un dessin raté car j’ai l’impression qu’il m’aidera à mieux réussir le suivant.
Parfois, c’est vrai aussi, je dessine pour apaiser mon esprit, de la colère, de la mélancolie, de la honte, etc, qui le submerge. Parfois, je dessine pour conforter un sentiment de bien être, de joie, de paix. Parfois, je dessine pour jouer, jouer avec les idées. J’aime le moment ou une idée me vient.
J’aime qu’il y ai un dessin « en vrai » à la fin. Il est nécessaire pour pouvoir retourner dans la réalité. C’est mon ticket de sortie. Nous possédons tous un espace-temps de liberté à l’intérieur de nous même, dans lequel on peut se plonger en pensée. C’est le lieu des fantasmes, des rêves, des tourments… L’art me permet de matérialiser une empreinte, une trace de cet espace-temps intérieur sous une forme réelle. Que faire de cette trace ?
Je rechigne à montrer mes dessins car je crains plus que tout que l’on vienne mettre son nez dans ma vie intérieur. Je peux accepter d’être malmené, dirigé, commandé, etc, dans la vie réel, tout du moins je le conçois. Par contre, je ne peux pas accepter de soumettre ma vie intérieur aux règles de l’extérieur. Hors, tenter d’exposer mes dessins, c’est précisément s’exposer à ce risque. Je préfèrerais mille fois que personne ne voit mes dessins et perdre par la même toutes chances d’une quelconque reconnaissance sociale, que de pervertir ou perdre ma liberté dans ma vie intérieur…
AL