Avec Marie nous avons débriefé le META 2,5 que nous avons joué à Nantes avec Aurélien. Nous avons échangé sur le côté brut d’Aurélien pour ne pas dire brutal, par rapport à ses propositions pendant le spectacle.
Pour resituer, Aurélien est un artiste qui adore l’art contemporain, la performance, les propositions radicales. Il connait la Meta mais n’avait pas joué depuis assez longtemps. Je pense qu’il était assez tendu et qu’il souhaitait absolument être à la hauteur de l’évènement. Ce qui pour moi fut le cas…
Depuis que nous rejouons régulièrement Meta, Marie et moi avons invité des acteur.ices qui ne sont pas ou peu formés à la Meta mais qui ont un univers artistique fort. Je crois que nous faisons ça pour nous challenger et aussi parce que les personnes formées à la méta jouant avec nous interrogent finalement moins cette technique que des personnes néophytes.
Travailler avec Aurélien a posé une question centrale sur la part personnelle que l’on peut et doit mettre dans la META. Elle pose surtout la question du traitement que l’on doit apporter à l’intime. Est-ce que l’intime brute a sa place sur scène ?
Dans la Meta, tous les niveaux sont fictionnels. Il existe un personnage acteur et un personnage personne. A partir du moment où l’on joue META, on est tendu vers la création d’une forme. Cette forme nous protège et elle protège le public. C’est cette forme qui nous permet de tendre vers la création artistique. La mise à nu du processus créatif fait partie du spectacle mais elle a pour but d’offrir une expérience artistique complexe au spectateur.
On peut confuser sur le niveau “personne”. Je pense qu’on peut parler de ce que l’on souhaite si cela devient matière au jeu. L’intime doit devenir fiction car au final, qui nous sommes, n’intéresse que très peu le public. L’impudeur est simplement gênante. Par contre, mettre de soi, de son intime caché dans la fiction, entre la vérité et le mensonge donne une puissance et une relation unique avec le spectateur. Il devient actif, complice et non passif ou victime de notre impudeur. Ainsi toute matière est bonne mais n’a sa place sur scène que pour être transformée. Nous appellons cette notion en META : le voile de pudeur.
Donc, Aurélien paraissait impudique. Il a livré au spectateur des éléments intimes sans forcément les traiter au début du spectacle. Cela a créé un certain malaise alors que je jouais avec lui. Il aurait pu me mettre en difficulté en me demandant de faire de même. Mais jouer méta est pour moi un espace de création et de travail. j’aime découvrir de nouvelles matières et avoir des problèmes à résoudre. Je n’en voulais pas à Aurélien. Je trouvais ça passionnant de devoir gérer tout ça. je n’aime pas forcément livrer une matière brute. J’étais déstabilisé et je voulais libérer le public. C’est-à-dire, créer un voile de pudeur entre le public et la scène. J’étais très conscient de ce qu’il se passait.
Instinctivement j’ai travaillé sur le soulagement comique. J’apportais un peu de légèreté dans les propositions en amenant du décalage. Mais ça ne suffisait pas. Il ne fallait surtout pas dévaloriser la matière apportée par Aurélien. Ca peut être un réflexe de protection pour démotiver et neutraliser la source des problèmes. Mais dans le cas présent, c’est justement le problème posé qui était intéressant.
Il fallait faire plusieurs choses : créer une forme, jouer avec cette tension, rassurer Aurélien, accepter ses propositions tout en les intégrant à la forme que j’essayais de créer. Un endroit profond, violent, drôle et absurde.
Aurélien voulait que l’on parle de nos pères décédés. Mais en vrai, ça n’a pas d’intérêt en soi. D’ailleurs, l’âge avançant pour moi, ça devient de moins en moins original d’avoir un père qui est décédé. C’est une réflexion qui m’est venue pendant le jeu. Donc avec tout ça, il faut créer du théâtre et utiliser la matière existante sans tomber dans le pathos.
J’aime l’état de jeu dans lequel cette insécurité m’a mise. Je me suis senti très inspiré. J’ai travaillé sur une forme décalée. j’ai joué son père qui montait seul un escalier sans fin, pendant que lui poursuivait son monologue. Je donnais un décomptes des marche tout en montant. Ce décompte a amené une tension dramatique assez forte. Que se passera-t-il lorsque je le rejoindrai en haut des escaliers et que mon décompte arrivera à zéro ? Je ne le savais pas vraiment au moment où je le faisais mais je trouvais la forme intéressante.
Quand je suis arrivé en haut des marches je l’ai vu enfant. Je lui ai dit que j’allais le coucher. Un père saoul et aimant. Une projection de ma propre histoire, d’un souvenir ressurgit mais transposé, caché. J’ai porté le Aurélien adulte et je l’ai mis au lit en l’embrassant. Aurélien m’a dit: “tu viens me réveiller demain papa ?”. J’ai répondu : “ça ne sera pas possible, je n’aime pas mourir tard.” Blague sensible. Être à plusieurs endroits. Je pense que ce moment mené Aurélien à la META. Nous nous sommes trouvés et avons livré un moment sensible, drôle et profond.
Le temps du spectacle est aussi un temps de travail. META est un moment de découverte de son ou sa partenaire sur plusieurs niveaux. Quel artiste est-il ? quelle personne ? comment aime-t-il jouer ? quel chemin allons nous emprunter pour nous raconter?
META a pour but de partager une expérience intime et artistique avec le public. C’est pour cette raison qu’on ne peut le limiter à une technique ou même un langage. C’est plus profond que ça. C’est une expérience. Jouer Meta explicite son propre processus pour renforcer le lien empathique avec les spectateurs. Il pousse l’acteur à être honnête et à accepter de perdre, montrer sa vulnérabilité. Le public peut nous voler des moments qui nous échappent mais on ne doit pas le brutaliser en étant impudique.