Le dernier méta que nous avons joué était un 2 et demi. Cécile était invitée. Elle jouait une fois 20 minutes avec Marie, puis 20 autres minutes avec moi, puis enfin, nous jouions les 20 dernières minutes tous les 3.
La première partie, avec Marie, a mis Cécile à l’aise. Une période rapide où l’on suivait plus ou moins une histoire. Cette première période permettait l’ installation d’un socle méta pour le public et pour Cécile. Ne pas aller trop vite pour ne pas perdre les gens. Cette partie se caractérisait par la répétition et l’accumulation de motifs narratifs. Une construction habile et rapide où deux sœurs traversaient des scènes qui finissaient par se confondre les unes avec les autres. Comme Cécile se sentait bien, Marie a pu accélérer. Que veut dire accélérer ? Cela signifie s’étourdir, changer rapidement de niveaux, d’impros, de personnages. Tendre vers le conceptuel plutôt que le narratif. Le public aime le narratif mais avec Marie nous aimons (trop ?) le conceptuel. Les histoires me semblent toujours attendues et manquer de profondeur. Elles prennent une dimension supérieure dès qu’elles sont traitées sur au moins 2 niveaux en même temps. Pour moi, il faut que transparaissent très rapidement des enjeux personnels, d’interprétation ou de mise en scène pour que la fiction devienne prenante. C’est la confusion des niveaux de jeu qui apporte la richesse de la Meta. Jouer une histoire absurde ou réaliste ne m’intéresse pas. C’est un piège dans la Meta de vouloir raconter de belles histoires. C’est comme jouer en 2D. Il faut mettre en perspective. Cécile proposait des cadres narratifs vraiment bien écrits et Marie ramenait du personnel, du décalage et du changement de niveau. C’était déjà un peu la bagarre mais Cécile tenait bon et revenait toujours à une forme narrative bien construite. C’est comme si Marie passait son temps à faire des trous dans une barque avec une hache et que Cécile rebouchait les trous en permanence. Mais ce qu’on veut dans la Meta, c’est voir comment on arrive à fabriquer un radeau avec les restes de la barque et que cette embarcation flotte toujours mais de manière instable. C’était drôle et vivant de regarder ce duel. Improviser à deux, ce n’est pas forcément seulement jouer avec, ça peut aussi être jouer contre ou jouer sans l’autre…
J’ai joué la 2e partie. j’avais gagné à pile ou face avant le spectacle car il est souvent plus difficile de commencer dans ce spectacle. Pendant la première période, on forme notre partenaire et le public à notre jeu et à la méta. Quand je suis entré pour la 2e partie, je voulais que Cécile lâche quelque chose. Elle avait des personnages toujours très forts et revendicatifs qui n’avait peur de rien. J’aime faire travailler mes partenaires et les emmener à un endroit qui m(intéresse. Mais Cécile ne voulait ou ne pouvait pas. J’avais envie de lui faire jouer des perdantes. Je lui racontait que moi, dans la vie, je n’avais pas cet aplomb de remettre à leur place les gens et que j’optais souvent pour le statu quo. Je luis disais que je jouerai des personnages lâches… Ce fut en quelque sorte la teneur de la 2e période. J’ai beaucoup déjoué. J’ai beaucoup refusé. Mon but était de la déstabiliser. De la faire tomber de la barque. Je l’ai trouvée très bonne actrice. Elle joue très juste. Simple et sincère comme j’aime. Ça m’a intimidé. Je me suis trouvé mauvais acteur. J’étais incapable de rentrer dans les fictions. Comme La Meta oblige à être à la fois dehors et dedans, on peut vite se juger. Alors il faut vite transformer cette impression en problématique de jeu et la traiter. J’ai essayé plusieurs fois de rentrer dans les scènes mais je trouvais que je jouais faux. Je l’ai dit. J’ai ressayé de jouer juste. Ca ne marchait pas. Mais ce qui est intéressant à ce moment, c’est que pour mettre en lumière le fait de mal jouer, j’étais très bon dans l’endroit de la Meta, très naturel et touchant dans ma tentative. Donc je jouais juste et sur 2 niveaux, ce qui créait un nouvel espace fictionnel : Christophe n’arrive plus à jouer. C’est vrai puisque je n’arrivais vraiment pas à jouer narratif. C’est faux car je jonglais avec deux registres de jeu. J’étais dans deux endroits en même temps. J’étais complètement sincère. Je n’avais pas conscience de jouer juste en Meta (car ce niveau était devenu invisible pour moi), mais comme je traitais cette incapacité à jouer juste de la fiction, je ne me suis pas senti mal et j’ai pu transformer. J’étais moi même perdu dans les niveaux. C’est ça le trouble de la Meta. C’est ce qui est vertigineux et perturbant pour le public. C’est ce qui fait qu’il s’investisse émotionnellement dans notre impro.
l’improvisateur va-t-il chuter ? Cette question présente dans l’impro en général, devient une problématique à traiter. Pas seulement de manière théorique, mais de manière concrète, sensible et artistique. Elle devient le pivot de la scène. Je n’ai pas forcément conscience de tout ça quand je joue. C’est l’intuition, la volonté et la technique qui m’amènent au flow. A ce moment où je ne suis plus sûr de rien. J’essaie de traiter tous les éléments présents qui arrivent en continu. Je travaille à prendre en compte le jeu, mon émotion, ma partenaire, la situation… et de synthétiser ça dans une scène pour recréer de la fiction, du théâtre. A ce moment-là je n’ai pas du tout l’impression de marcher sur l’eau ou d’être tranquille. J’essaie de m’en sortir et de faire avec l’existant. Ne pas cacher. Je pense vraiment que c’est ce que le public vient chercher.
Souvent, la 3e partie est plus compliquée pour le public. C’est un peu le moment “Showtime”. Ce sont les 20 dernières minutes, on en a joué 40… Les bases de la méta sont intégrées par le public… Notre Invité est normalement à l’aise. C’est le moment où nous accélérons encore, en fusionnant les niveaux de jeu. Personne, personnage et fiction.
Après le spectacle, nous avons eu plusieurs retours disant que sur la dernière partie du spectacle, nous avions été durs avec Cécile. Elle était très à l’aise depuis le début. Les 3 niveaux étaient clairs et avaient été exploités. Il fallait dérégler le système, accélérer. Comme le public nous perçoit en tant que personnes fortes, confiantes et acteurs accomplis en Méta, il a développé beaucoup d’empathie pour Cécile qui apparaît comme la débutante puisqu’elle est invitée. Mais Cécile sur scène, n’est pas vraiment Cécile. Nous avons développé pendant 40 Min, chacun et chacune une personne et un acteur qui sont tous fictionnels. Ce qui veut dire qu’à la fin du spectacle, nous semons le trouble chez le spectateur en changeant de niveau très rapidement et en mettant en jeu nos personnes et nos relations interpersonnelles. Nous n’étions pas , Marie et Christophe, durs avec Cécile. Et Cécile n’était pas (ou plus?) en réalité la fragile débutante. Nous savions que Cécile était prête à accélérer. Nous l’avons installée dans ce niveau confusant ou tout semble vrai alors que tout est faux. La dernière partie du spectacle n’est pas indépendante, elle est le résultat des deux autres.
A la fin, Nous avons évolué dans un 4ème niveau de jeu en développant chacun et chacune notre CREATURE : La somme fictionnelle de tout ce que nous avons créé durant le spectacle. Une synthèse de nos niveaux personnes, personnages et fiction. Un niveau qui cette fois est fabriqué par les spectateurs et non plus par nous. Ce niveau ne nous appartient plus. Il est entièrement réel et fictionnel. C’est la transaction esthétique. C’est la place du spectateur. Il fait partie de la créature, de ce qu’il se raconte de nous, de ce qu’il a projeté sur nous. Il fait partie du spectacle. Nous disons souvent que dans nos spectacles, nous ne faisons que la moitié du chemin et que c’est au spectateur de faire le reste. C’est la force de l’écriture conceptuelle. Nous posons ici et là des bribes, des indices, des énigmes et c’est au public de les résoudre. Ainsi, il s’implique émotionnellement et intellectuellement. Il devient une partie de l’œuvre.
Un des aspects du dogme du spectacle Meta est d’avoir l’impression d’être tombé dans les escaliers à la fin du spectacle. Ce renversement à plusieurs aspects. Le ou la comédienne a traversé un État de Flow, il est donc dans un État modifié de conscience. Le spectateur a été Mystifié. Il a vécu une expérience intime, esthétique, où le réel et l’artistique se sont confondus. Il a traversé lui aussi une expérience esthétique confusante. Il a pris partie. Mais tout est du théâtre.
Ainsi, pour revenir sur la réaction du public à la fin… Il est tombé des escaliers… Le dogme a été respecté.