J’aime travailler des jeux simples dans l’énoncé pour pouvoir mettre plus facilement à nu le processus d’écriture de chacun.e. Action-Emotion est un exercice qui permet de découvrir une construction complexe, contre intuitive. Je me rends compte qu’on peut vraiment aborder sans problème cette écriture avec des débutants. Un.e acteurice commence en jouant une action et l’autre une émotion. C’est tout. Je rajoute des éléments dramaturgiques au fur et à mesure de l’exercice.
Lorsque les improvisateurices commencent à jouer, ils vont toujours avoir le réflexe d’aller au plus évident. C’est d’ailleurs une façon de jouer très enseignée et soutenue. « Aller à l’instinct », « laisser venir », « il faut aimer sa première idée »… Pour moi c’est un peu aller à la facilité et cela donne souvent lieux à des dérapages liés à l’injonction de faire rire le public. Ça apporte de la politesse, de la lenteur, de la paresse et surtout des impro faibles au niveau fond et forme. Fond = propos et forme = mise en scène, dramaturgie. On retombe aisément dans des schémas pré-établis, qu’ils soient dans le jeu, les situations, le propos ou même la forme du texte. On va poser un socle situationnel ou relationnel simple qu’on complètera de manière logique.
Exemple : A fait la cuisine. B « Qu’est-ce qu’on mange ce soir chéri.e ? » (je mets le « e » en inclusif, mais c’est quand même quasi toujours « chérie »).
On remarque qu’il y a bien un socle simple et logique qui se tient. Action=cuisine, lieu=cuisine, relation=couple. On remarque aussi que la première réplique amène la relation. Elle éclaire donc ce point, mais en dehors de ça, rien de plus. Pas de surprise… On peut dire que c’est bien/mal parti pour être une bonne impro pas intéressante. Que va-t-il se passer dans cette scène ?
Exemple 1 : A. J’ai fait des pâtes. B. Encore ! = conflit
De très fortes chances de tourner au conflit et à la séparation du couple. Pourquoi ? Parce que c’est la chose la plus logique à jouer dans cette situation. Cette façon d’écrire est au final à faible potentiel car elle ne peut avoir qu’un développement laborieux et convenu. C’est un archétype. Pour s’en sortir, au moment où les improvisateurs auront remarqué qu’ils s’ennuient, et que le public s’ennuie, ils vont se réfugier derrière la chose la plus facile et agréable à jouer : la dispute.
Le conflit est un faux ami en impro. Il donne de l’air, de la vitesse, de l’énergie et du jeu, mais a une durée de vie très courte car justement il demande beaucoup d’énergie pour exister. Et on se fatigue vite. J’ai d’ailleurs remarqué que lorsqu’un conflit arrive tôt dans une scène, soit la scène est très courte si le temps de l’impro n’est pas contraint ou il retombe comme un soufflé car il y a toujours quelqu’un qui cherchera à calmer le jeu. On va trouver un médiateur qui va tuer l’impro et la faire revenir dans le BOF. Dans le « Plate » comme disent les québequois. Pourquoi ?
Parce que, d’abord, ce n’est pas bien de se disputer. Ça crée des émotions négatives et l’impro c’est moral et tout public. Ensuite, parce que La dispute a un plafond de verre qui est très difficile à dépasser sans stylisation. C’est à dire, un parti-pris d’écriture ou de mise en scène permettant de dépasser la forme réaliste. Et ça c’est autrement plus compliqué à créer quand on est dans une impro « paresseuse ».
Exemple 2 : A cuisine et se brule ! Au secours ! Les pompiers les Urgences ! D’ici à ce que la femme soit enceinte, on va avoir droit à un accouchement avec un acteur qui pensera avoir inventé le fait de représenter un bébé sortant de l’entre jambe de sa partenaire de jeu. (D’ailleurs dans ce chaos, la femme est souvent objectivée et n’a plus son mot à dire après la naissance du magnifique bambin, qui est toujours un homme, dans les bras du papa sous le regard attendri des médecin, lui aussi un homme, car les femmes docteurs ça n’existent pas alors que les infirmières sont tellement désirables). On voit bien la limite du concept. Hélas, ce genre d’impro « burlesque » et « originale et farfelue » reste fréquente. C’est encore une fois une improvisation paresseuse, qui se nourrit de sa propre tradition. Cette impro est essentiellement motivée par la peur du vide, peur qui crée le besoin de retourner en territoire connu pour obtenir ce rire rassurant et approbateur d’un public caricatural.
Exemple 3 : A. Mes parents m’ont appelé… j’ai un frère caché…
Développement d’un long dialogue à table… Mais comment… Mais pourquoi… Je suis choqué… Mais que faire…
Dans un spectacle, l’ennui manifesté par le silence du public (car un public silencieux s’ennuie, mais parfois est ému, ça dépend si l’improvisateur est vraiment ému quand il joue une scène pas du tout intéressante), alors un personnage loufoque entrera en sonnant à la porte, prétendant être le frère, pour apporter un peu de soulagement comique.
Exemple 4 : Mes parents débarquent dans 5 minutes ! Tu as oublié ! C’est pas possible !
Conflit + Vaudeville = régal.
Dans tous ces exemples, la situation initiale ne sert que de prétexte et à gagner du temps pour la suite. Le socle mis en place sera le plus souvent abandonné.
Même si toutes ces impro peuvent être drôle, dés les 2 premières répliques on sait déjà ce qu’il va arriver. Si ton maris rentre à 4h et te réveil il y a peu de chances que tu le prennes bien. Si a la place elle avait dit : « Tu es chiant, j’ai envie d’avoir un enfant…mais avec toi c’est pas possible… ». Ça n’empêche pas son partenaire d’être saoul mais permet de vivre un moment fort pour les 2, à 4h du matin, entre couple qui s’aime et n’y arrive plus. Ceci est juste possible par une prise de risque dans la réplique. Quelque chose qui éclipse et décale radicalement la situation. Elle permet de sortir des sentiers battus et de ne pas savoir du tout ce qui se jouera après. ça veut dire être dans une écoute plus grande de la situation, de soi et de l’autre. ça veut dire accepter de se surprendre et de surprendre le public.